Samia Maktouf, inconditionnelle (2024)

portrait

Cette pugnace avocate parisienne néeen Tunisie assume défendre à la fois les victimes duterrorisme et les autocrates.

Il y a les procéduriers agiles, calibrés pour flinguer un article de loi sur un alinéa abscons. Il y a les troubadours, qui noient le tribunal sous l'éloquence, et font avaler l'invraisemblable. Il y a enfin les agités, les teigneux, les réfractaires. Ceux-là prennent régulièrement des gamelles juridiques, sont raillés par leurs pairs pour leur inconséquence, mais ne lâchent jamais le mollet qu'ils ont croqué. SamiaMaktouf estde ces hélicoptères de combat. Et le chante. Elle ne passe pas la robe par obsession victorieuse. «Parfois, faire parler du sujet et attirer l'attention suffit», cingle-t-elle. Comme ce jour de mars2016 où elle attaqua la Belgique devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour des manquements dans la surveillance des terroristes du 13Novembre. Etrange d'aller plaider pour perdre ?

Samia Maktouf, la cinquantaine apprêtée, sévit au barreau de Paris depuis1995, année de sa prestation de serment. Etudiante en licence de droit, elle déboule chez Théo Klein, alors conseil des hobereaux de l'industrie et des potentats africains. La jeune collaboratrice en pince (professionnellement) pour l'ex-président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), 96ans aujourd'hui, «homme brillant, qui combattait la haine jusque dans son propre camp». A sa demande, SamiaMaktouf passe sa première année en mission à l'étranger. Elle en garde une approche «très anglo-saxonne du métier», ce qui, chez un avocat, signifie deux choses : des revenus replets et une clientèle tendance pot-pourri. Ces quinzedernières années, elle a défendu et a conseillé des réfugiés tunisiens, des salariés sur le carreau, le bienfaiteur de l'Hyper Cacher, Lassana Bathily, le porteur de valises libyennes, Ziad Takieddine, la mère de l'un des soldats abattus par MohamedMerah, Latifa Ibn Ziaten. Voilà qui dessine, selon elle, les contours d'une «carrière œcuménique».

L'épithète fera tousser les révolutionnaires tunisiens. Samia Maktouf était du comité de défense du ministre de l'Intérieur de BenAli, accusé d'exactions devant un tribunal militaire. EnFrance, elle défendit tout de go Leïla Trabelsi, l'épouse du dictateur tunisien en exil en Arabie Saoudite, étrillée par deux journalistes dans la Régente de Carthage. Le palais mandate Maktouf en octobre2009 pour engager un référé d'heure à heure. L'idée est alors d'expurger des pans entiers de l'ouvrage, ceux décrivant par le menu la vie frivole de l'épouse du Président. Pour les opposants, l'outing de l'avocate ne fait plus guère de doute : en croisant le fer pour Leïla Ben Ali, Samia Maktouf s'est posée en défenseure d'un régime l'ayant enrichie et consacré par ses réseaux. Longtemps adepte du silence, elle riposte : «Leïla Ben Ali ? Je ne l'ai vue que trois fois ! J'ai accepté le dossier parce que je suis une femme résolument féministe. Que les auteurs dénoncent une répression et une spoliation du peuple tunisien, s'ils ont les preuves, pas de problème. Il n'était pas indispensable, en revanche, pour démontrer qu'il s'agissait bel et bien d'une dictature, de raconter les histoires de cul et de co*ke de Leïla Ben Ali.» Silence (allongé), puis confidence (détonante) : «C'est Ben Ali lui-même qui a souhaité intenter la procédure. Ça, je ne l'ai jamais dit. Dans la culture arabe, un homme, a fortiori de cette stature, ne peut pas tolérer que sa femme soit traitée de prostituée. Rétablir son honneur m'a paru important. Je me fiche des interprétations, l'unanimité, c'est la médiocrité.»

En 2012, Samia Maktouf s'adjuge une nouvelle mission : recoudre les failles du code pénal français pour tarir les sources derecrutement de Daech. Après des mois à prêcher dans ledésert, elle convainc de la nécessité de réintroduire l'autorisation de sortie du territoire pour les mineurs. Ces derniers jours, elle a obtenu qu'un père radicalisé se fasse sucrer son droit de visite. Guerroyer contre le terrorisme vire à l'obsession. A ses collaborateurs la charge de conclure les fusions-acquisitions qui assurent le loyer des sémillants locaux près de l'avenue Montaigne. A elle le siège de la galerie Saint-Eloi pour que le maximum de victimes trouve «réparation». Une fois n'est pas coutume, le ton emprunte au tribun : «Trouvez-vous normal que seuls ceux qui se trouvaient sur le trottoir du camion à Nice soient indemnisés ? s'époumone-t-elle. Et ceux qui étaient sur le trottoir d'en face et qui ont tout vu, croyez-vous qu'ils sont bien dans leurs baskets aujourd'hui ? Face à l'inventivité du jihadisme, la loi n'évolue pas assez vite, la mobilisation n'est pas assez forte. J'aimerais que mon ordre [celui des avocats, ndlr] s'approprie cette cause.»

Sur la plage de Sousse, flash-back d'enfance, la baston se faisait aux poings. Seule fille d'une fratrie de six, elle se bat comme une chiffonnière, ruse aux courses de petites voitures et gagne à la toupie. Deux de ses frères deviendront aussi avocats, dont l'un officie dans son cabinet aujourd'hui à Paris. Sa mère, au foyer, l'appelle toujours vingtfois par jour malgré la distance. Quant à son père, fonctionnaire au ministère de la Santé, il s'échina pour que Samia intègre le prestigieux lycée pour filles de Bab-Souika, un quartier bavard du centre de Tunis. Au contact des expatriées, l'avocate se délecte de films avec Gérard Philipe, Annie Girardot, Simone Signoret. Des livres, elle retient Victor Hugo et Gisèle Halimi. «Fille de Bourguiba», Maktouf refuse de toucher un cheveu de la laïcité «car ce sont toujours les femmes qui payent les premières les pots cassés». L'accession de Marine LePen au second tour l'a «outrée», «parce que répondre au terrorisme par la haine est d'une inculture abyssale». D'ailleurs, Samia Maktouf ne voit guère que «l'éducation comme rempart crédible à l'endoctrinement».

Impayable, elle attaque la troisième heure d'entretien sur la fuite «inadmissible des frères Clain en Syrie alors qu'ils n'auraient pas dû pouvoir bouger une oreille». Vilipende l'état d'urgence, «une mesure politicienne, un sparadrap sur une jambe de bois». Dit qu'elle plaidera prochainement à la Cour pénale internationale (CPI) «mais qu'on ne peut pas encore en parler». Nos relances couardes sur ses croyances ou sa vie privée hors les prétoires passeront par pertes et profits. Logorrhéique, elle inventorie tout ce que les services de renseignement - en particulier la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) - ont raté depuis dixans. Le procès d'Abdelkader Merah, frère de Mohamed, qui se tiendra en octobre ? «Un simple symbole puisque le Raid n'a rien fait pour interpeller le principal intéressé après pourtant trente-deuxheures d'intervention.» Samia Maktouf, éternel distributeur d'uppercuts.

PhotoFRED KIHN

1963 Naissance àSousse (Tunisie).

1995 Prestation deserment à Paris.

2000 Fondation desoncabinet.

2012 Crimes de Merah, défense de Latifa IbnZiaten.

2014 Habilitation devant la Cour pénale internationale (CPI).

Samia Maktouf, inconditionnelle (2024)

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