Le Président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, a accusé son prédécesseur, Joseph Kabila, d'être le cerveau d'une coalition rebelle active dans l'est du pays. Dernière étape d’une crise qui grandit entre les deux hommes.
Dans une interview réalisée à Bruxelles mardi et diffusée en direct sur le média Top Congo FM basé à Kinshasa, M. Tshisekedi a déclaré que Joseph Kabila, qui a boycotté les dernières élections, a refusé de participer au processus démocratique et prépare maintenant une insurrection.
En réponse, le chef du Parti politique de Joseph Kabila a déclaré à la BBC que ces accusations sont sans fondement et constituent une triste déception. Ferdinand Kambere a ajouté que cela montre que le Président actuel a une compréhension limitée de la situation sécuritaire dans l'est du Congo.
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Joseph Kabila a été Président de la RDC pendant dix-huit ans. Il a conduit le pays à son premier transfert pacifique du pouvoir en 2019 après un scrutin contesté.
C'est la première fois qu'un officiel accuse l'ancien président de la RDC d'avoir des liens avec les rebelles de l'AFC-M23. Le dernier rapport d'experts de l'ONU mentionne le Rwanda et l'Ouganda comme soutenant le groupe, mais les deux pays ont rejeté ces allégations à plusieurs reprises.
L'Alliance Fleuve Congo, également connue sous l’acronyme d'AFC, est une coalition d'acteurs armés et politiques qui contrôlent une partie de la province du Nord-Kivu. Elle est dirigée par l'ancien chef de la Commission électorale congolaise, Corneille Nangaa, et compte parmi ses membres les rebelles du M23.
Les États-Unis et l'Angola ont récemment négocié un cessez-le-feu entre l'armée congolaise et la coalition rebelle lors de pourparlers avec des responsables rwandais.
Cependant, des affrontements sporadiques sont toujours enregistrés sur la ligne de front, les rebelles s'emparant de nouveaux villages dans la province du Nord-Kivu.
Selon l'ONU, les violences dans l'Est de la RDC ont entraîné le déplacement forcé de plus de sept millions de personnes, qui ont actuellement besoin d'une aide humanitaire.
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De l’amour au désamour ?
C’est l’histoire d’une relation entre deux hommes, autrefois opposés, devenus alliés et aujourd’hui « ennemis».
Le proximité entre Félix Tshisekedi, jadis opposant, et Joseph Kabila, alors président, commence en 2015.
En effet, dans l’optique d’organiser un « dialogue national », le président Joseph Kabila avait initié des contacts informels entre son « envoyé spécial » Kalev Mutond, Administrateur Général de l’ANR (Agence Nationale de Renseignements) et plusieurs partis de l’Opposition, notamment l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, père de Félix Tshisekedi.
C’est ainsi que des émissaires de Joseph Kabila ont rencontré ceux de Tshisekedi entre août et septembre 2015 à plusieurs reprises, d’abord à Venise, en Italie, ensuite à Ibiza, en Espagne.
Ces tentatives de rapprochement aboutissent en 2018 à un accord conclu entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur durant la campagne présidentielle de décembre 2018.
Une présidentielle qui a conduit le président Tshisekedi au pouvoir mais sans majorité parlementaire.
Pour gouverner, les deux hommes vont mettre en place une coalition entre le Front commun pour le Congo (FCC) de Jospeh Kabila et Cap pour le changement (CACH) de Félix Tshisekedi.
Avec le FCC de Kabila majoritaire au Parlement et dirigeant pratiquement 24 des 26 provinces, l'UDPS était « obligée de cohabiter » selon le Politologue Christian Moléka. Le FCC comptait alors 350 députés, tandis que la coalition Cap pour le changement (CACH) - composée de l'Union pour la démocratie et le progrès social de Tshisekedi et de l'Union nationale pour le Congo de Vital Kamerhe - ne disposait que de 46 sièges.
"Partir pour mieux rester"
Selon les observateurs, la base de l'accord était le désir de pouvoir politique des deux hommes : Tshisekedi voulait gagner le pouvoir, Kabila ne voulait pas le perdre. Inévitablement, ces ambitions politiques allaient finir par s'opposer.
« Nous avons eu une cohabitation de pratiquement deux ans et demi, parce qu'à partir de 2020, des tensions vont commencer à naître et vont nous conduire vers la dissolution de la majorité », explique Christian Moléka.
En décembre 2020 Félix Tshisekedi annonce la fin de la coalition avec Joseph Kabila et se cherche une nouvelle majorité.
Après la dissolution de la coalition FCC-CACH, on assistera au renversem*nt de la majorité parlementaire, le changement de gouvernement, et le président Tshisekedi lancera l'Union sacrée, qui est sa plateforme.
L'acte 3, c'est qu'en perspective des élections de 2023, le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila a refusé de prendre part au processus électoral. Le parti contestait déjà la mise en place du bureau de la CENI et le changement au niveau de la Cour constitutionnelle. Il a donc boycotté tous le processus et refusé de s'aligner aux élections générales
Aujourd’hui, ce qui peut être considéré comme l’acte 4, c’est la campagne de recrutement que Corneille Nangaa, ex allié de Tshisekedi et Joseph Kabila, dirige dans le camps de l'ancien président. Considéré comme un « chef rebelle » qui a lancé le mouvement politico-militaire Alliance Fleuve Congo, Corneille Nangaa est désormais en collusion avec le M23. « Il recrute énormément dans les camps de la famille politique de Kabila, » affirme Christian Moléka
Plusieurs membres du PPRD qui ont rejoint l'AFC, attendent le verdict d'une cour militaire à Kinshasa, où ils encourent la peine de mort.
Christian Moléka estime qu’à suivre l'escalade verbale, « on peut dire qu'on a atteint un niveau de non-retour ». Il espère que l’ancien président Kabila s'exprimerait pour clarifier sa position après un si long mutisme.
Pour lui, à l’état actuel il y a très peu de canaux de communication pour une médiation entre les deux hommes. « On assiste à plus de tensions, plus de frustrations et plus d'escalade que de désescalades. »